CHAPITRE III

 

A SIX HEURES ET DEMIE

 

1

 

— Eh bien ! voilà, tout est prêt !

Miss Blacklock promena un regard satisfait sur les deux pièces qui formaient son salon.

Avec sa véranda et ses volets verts, Little Paddocks était une maison de dimension moyenne, construite dans le style victorien. Long et étroit, le salon proprement dit, que le toit de la véranda privait d’une bonne part de sa lumière, avait une cheminée à chaque extrémité et, bien qu’il n’y eût de feu dans aucune, l’endroit baignait dans une douce chaleur.

— Tu as fait rallumer le chauffage central ? demanda Patrick.

— Il y a eu tellement de brouillard, ces temps derniers, que la maison était tout humide. J’ai demandé à Evans d’allumer le calorifère avant son départ.

La porte s’ouvrit, livrant passage à Phillipa Haymes. Elle était grande et blonde. Elle s’arrêta sur le seuil, un peu surprise.

— Mais c’est une réception ? Je ne savais pas !

— Naturellement ! s’écria Patrick. Notre chère Phillipa n’est pas au courant et je parierais qu’elle est, à Chipping Cleghorn, la seule femme à ne pas l’être !

Phillipa l’interrogeant du regard, il ajouta, avec un grand geste de tragédien :

— Vous voyez ici la scène du meurtre ! Ces chrysanthèmes parent la chapelle ardente et ces sandwiches au fromage représentent le repas de funérailles.

Phillipa Haymes se tourna vers miss Blacklock.

— C’est une plaisanterie ?... Je suis toujours idiote quand il s’agit de comprendre une plaisanterie...

— Effectivement, dit Dora Brunner d’un ton ferme, c’est une très mauvaise plaisanterie. Elle ne me plaît pas du tout.

— Montre-lui le journal, ordonna miss Blacklock. Il faut que je fasse rentrer les canards. Il fait nuit et ils devraient déjà être chez eux.

— Laissez-moi les rentrer, proposa Phillipa.

— Jamais de la vie, ma chérie ! Votre journée de travail est finie.

— Voulez-vous que j’y aille, tante Letty ?

— Certainement pas, Patrick ! La dernière fois, tu n’as même pas su bien fermer la porte !

— Alors, j’y vais ! s’écria miss Bunner. Le temps de mettre mes galoches... Mais qu’est-ce que j’ai fait de ma jaquette de laine ?

Miss Blacklock était déjà partie.

— Rien à faire, Bunny ! commenta Patrick. Tante Letty est si active qu’elle ne supporte pas qu’on fasse quelque chose à sa place. Elle aime mieux tout faire elle-même.

— Elle adore ça, déclara Julia.

— Il ne m’a pas semblé que tu lui avais offert de la remplacer...

Julia sourit.

—Tu viens de dire toi-même que tante Letty aimait faire les choses elle-même.

Contemplant ses jambes, elle ajouta :

— Et puis, j’ai mes plus beaux bas !

— La mort en bas de soie ! lança Patrick d’une voix mélodramatique.

— En bas de soie !... C’est du nylon, imbécile !

— Le titre sera moins bon...

— Mais enfin, protesta Phillipa d’un ton plaintif, quelqu’un daignera-t-il m’expliquer l’insistance que vous mettez à parler de la mort ?

On essaya de la renseigner, mais personne ne put lui montrer la Gazette, Mitzi l’ayant emportée à la cuisine.

Quelques minutes plus tard, miss Blacklock revenait.

— Voilà ! C’est fait !...

Elle jeta un coup d’œil sur la pendule.

— Six heures vingt !... Nous devrions avoir quelqu’un avant peu, à moins que je ne me trompe du tout au tout sur le compte de nos estimables voisins.

— Je ne vois vraiment pas pourquoi quelqu’un viendrait ! déclara Phillipa, qui ne comprenait toujours pas.

— Vraiment ?... Ça ne m’étonne pas de vous, ma chère ! Seulement, les gens sont généralement plus curieux que vous ne l’êtes !

— L’attitude de Phillipa devant la vie, dit assez méchamment Julia, c’est un total manque d’intérêt.

Phillipa ne répondit pas. Miss Blacklock examinait la pièce du regard. Mitzi avait posé, sur la table qui occupait le milieu du salon, le xérès et trois plateaux dans lesquels il y avait des olives, des sandwiches au fromage et quelques pâtisseries.

— Tu pourrais, proposa sa tante à Patrick, porter ces plateaux... ou même la table elle-même, si tu préfères, là-bas dans le coin, près de la baie ! Après tout, il ne s’agit pas de réception. Je n’ai, moi, invité personne et je n’ai pas l’intention de montrer que je m’attends à ce qu’on vienne.

— Tu préfères, tante Letty, ne pas laisser deviner que tu as très intelligemment prévu la réaction des voisins ?

— Voilà qui est très bien jugé, Patrick. Je te remercie.

— Quand les gens viendront, dit Julia, nous leur donnerons la comédie de la surprise.

Miss Blacklock avait pris la bouteille de xérès et la considérait d’un air songeur. Patrick la rassura.

— Elle est à moitié pleine. Ça doit suffire !

— Oui…

Miss Blacklock hésita un peu, puis, rougissant légèrement, elle reprit :

— Patrick, est-ce que cela t’ennuierait... Il y a une bouteille pleine dans le placard de l’office. Voudrais-tu aller la chercher et apporter en même temps un tire-bouchon ? Autant ouvrir une bouteille. Celle-ci est ouverte depuis très longtemps.

Patrick s’éloigna sans un mot et revint bientôt avec une autre bouteille, qu’il déboucha. Tout en la posant sur la table, il regarda sa tante.

— J’ai l’impression, tante Letty, que tu prends les choses au sérieux ?

— Oh ! s’écria Dora Bunner, désagréablement impressionnée. Tu ne vas tout de même pas supposer, Letty...

Miss Blacklock ne la laissa pas achever.

— On a sonné ! Comme vous pouvez le constater, j’avais vu juste !

 

2

 

Mitzi ouvrit la porte du salon pour introduire le colonel Easterbrook et sa femme. Elle avait sa façon à elle d’annoncer les gens.

— C’est le colonel et Mrs Easterbrook qui viennent vous voir, expliqua-t-elle sur le ton de la conversation.

Dissimulant son léger embarras sous une brusquerie voulue, le colonel alla vers miss Blacklock.

— J’espère que vous ne nous en voudrez pas d’être entrés ? Nous passions... La soirée est douce, n’est-ce pas ?... Tiens, tiens ! vous avez allumé le chauffage central ? Nous, pas encore !

Mrs. Easterbrook s’extasiait devant les chrysanthèmes.

— Ils sont adorables ! Merveilleux, vraiment !

Mrs. Easterbrook témoigna à l’égard de Phillipa Haymes d’un peu de cordialité supplémentaire afin de bien lui faire comprendre qu’elle ne la tenait nullement pour une salariée comme les autres.

— Comment va le jardin de Mrs. Lucas ? Croyez-vous qu’il redeviendra présentable ? On l’a laissé à l’abandon pendant toute la durée de la guerre et, depuis, personne ne s’est occupé de lui, sauf Ashe, cet horrible vieux bonhomme, qui s’est contenté de balayer les feuilles mortes et de planter quelques pieds de chou.

— Le traitement lui fait du bien, répondit Phillipa. Mais la guérison demandera du temps.

Mitzi, ouvrant de nouveau la porte, annonçait d’autres visiteurs.

— Ce sont les dames des Boulders.

Miss Hinchliffe avait déjà saisi dans sa forte patte la main de miss Blacklock.

— Bonsoir !... J’ai dit à Amy : « Passons donc à Little Paddocks ! » Je voulais vous demander si vos canes étaient en train de couver.

Miss Murgatroyd, très agitée, parlait à Patrick.

— Les soirées deviennent courtes, n’est-ce pas ? Ces chrysanthèmes sont adorables !

— Ils sont lamentables, répliqua Julia.

Son frère lui coula un regard lourd de reproches.

— Tu ne pourrais pas être aimable, non ?

— Vous avez allumé le chauffage central ? s’étonna miss Hinchliffe.

— La maison est tellement humide en cette saison !

Tout en parlant, miss Blacklock répondait, d’un signe de tête discret, à l’interrogation muette de Patrick : il était trop tôt encore pour le xérès.

Elle demandait au colonel Easterbrook s’il avait reçu de Hollande des oignons de tulipes quand, une fois encore, la porte s’ouvrit. Mrs. Swettenham entra, suivie d’un Edmund qui fronçait le sourcil et semblait assez gêné.

— Nous voici ! lança-t-elle gaiement, tout en promenant sur la pièce des yeux brillants de curiosité. Nous sommes entrés en passant, pour vous demander si, par hasard, vous ne voudriez pas un chaton. Notre chatte...

Edmund acheva la phrase :

— ... va donner le jour à des produits issus d’un horrible matou. Je crains qu’ils ne soient fort laids et vous ne vous plaindrez pas que nous ne vous ayons pas prévenue.

— Mais la mère est excellente pour les souris, ajouta Mrs. Swettenham

— Vous avez allumé le chauffage central ? dit Edmund.

— On croirait entendre des gens qui ont avalé les mêmes disques, murmura Julia pour Patrick.

Le colonel Easterbrook, cependant, saisissait le jeune homme par le bouton de son veston.

— Les nouvelles ne me plaisent pas. Pas du tout, même ! Si vous voulez mon avis, la guerre est inévitable. Absolument inévitable !

— Je ne prête jamais attention aux nouvelles, avoua Patrick.

La porte s’ouvrait de nouveau, pour l’entrée de Mrs. Harmon.

Son vieux chapeau de feutre était posé très en arrière, dans une vaine tentative d’élégance, et elle avait remplacé son habituel chandail par une blouse bouffante, dont la soie frissonnait. Son large visage tout épanoui, elle lança un cordial bonsoir à miss Blacklock, ajoutant tout aussitôt :

— J’espère que je n’arrive pas en retard ! L’assassinat a-t-il lieu bientôt ?

 

3

 

Il y eut une succession de petits cris de surprise. Julia exprima sa joie d’un gloussement, Patrick fronça le front et miss Blacklock sourit à la nouvelle venue.

— Julian est littéralement furieux de n’avoir pu m’accompagner, poursuivait Mrs. Harmon. Il adore les crimes et c’est même pourquoi il a prononcé, dimanche dernier, un sermon excellent. Bien sûr, étant sa femme, je ne devrais pas dire que ce sermon était excellent, mais il l’était. Et cela, à cause de La Mort joue la série ! Vous l’avez lu ? C’est un roman déroutant ! On croit avoir deviné et, brusquement, il y a un coup de théâtre et une adorable suite d’assassinats. Cinq ou six ! Il s’est trouvé que j’ai laissé le livre dans le cabinet de travail de Julian, au moment où il allait se mettre à son sermon. Il l’a pris et n’a pas pu le lâcher. De sorte qu’il a été obligé d’écrire son sermon à toute vitesse et que faute de temps, il lui a bien fallu dire très simplement ce qu’il avait à dire, sans fioritures, sans citations, sans références. Alors, naturellement, il a été bien meilleur que les autres. Mais je parle, je parle... Voyons ! Cet assassinat, quand a-t-il lieu ?

Miss Blacklock regarda la pendule, sur la cheminée.

— S’il a lieu, il ne devrait plus tarder, puisque dans une minute il sera six heures et demie. En attendant, nous pourrions boire un verre de xérès.

Patrick fila vers la table sur laquelle il avait posé la bouteille, cependant que miss Blacklock allait vers celle sur laquelle était le coffret aux cigarettes.

— Je serai ravie de prendre un doigt de xérès, reconnut Mrs. Harmon, mais pourquoi dites-vous « si » ?

— Parce que je ne suis pas plus au courant que vous. Je ne sais pas...

Elle s’interrompit : sur la cheminée, la pendule sonnait. Il y eut un silence. Nul ne bougeait et tous les yeux étaient fixés sur le cadran.

La pendule sonna le quart, puis la demie. Au même instant, la lumière s’éteignit.

 

4

 

Dans le noir, il y eut quelques petits cris de ravissement, d’origine féminine.

Mrs. Harmon était aux anges.

— Ça commence !

Dora Bunner exprimait sa contrariété.

— Je n’aime pas ça du tout !

On entendait encore d’autres voix.

— C’est effrayant !

— J’ai la chair de poule !

— Où es-tu, Archie ?

— Ici ! Qu’est-ce que je dois faire ?

— Je vous ai marché sur le pied. Excusez-moi !

La porte, brusquement, s’ouvrit. Un puissant faisceau lumineux fit rapidement le tour de la pièce. Une voix masculine, tout ensemble enrouée et nasale, qui rappelait aux uns et aux autres tant de bons après-midi passés au cinéma, commanda :

— Les mains en l’air !

Presque aussitôt, elle répéta :

— Les mains en l’air !

Joyeusement, des bras se levèrent.

— C’est merveilleux ! souffla une voix de femme. Je trouve ça passionnant !

Soudain, un revolver parla. Par deux fois. L’écho des détonations se répercuta dans la pièce. Brusquement, le jeu avait cessé d’être un jeu. Quelqu’un hurla…

La silhouette qui était dans le cadre de la porte fit un mouvement sur le côté, parut hésiter, un troisième coup de feu claqua, elle se plia en deux et s’abattit sur le parquet. En même temps, la torche électrique tombait par terre et s’éteignait.

C’était de nouveau l’obscurité. Et, gentiment, comme avec un grognement de protestation très « victorien », la porte du salon tourna sur ses gonds, comme elle faisait toujours quand on ne la maintenait pas ouverte et, avec un petit bruit sec, se ferma.

 

5

 

Dans le salon, l’agitation était extrême. Des voix s’élevaient, qui parlaient en même temps.

— Donnez la lumière !

— Vous ne trouvez pas le commutateur ?

— Qui est-ce qui a un briquet ?

— Je n’aime pas ça ! Je n’aime pas ça du tout !

— Mais c’étaient de vrais coups de feu !

— Et c’était bien un vrai revolver !

— Archie, il faudrait tout de même en finir !

— Quelqu’un a-t-il un briquet ?

Deux briquets s’allumèrent presque en même temps et, à la lueur de deux petites flammes paisibles, les gens s’entre-regardèrent. Des visages stupéfaits se tournaient vers d’autres visages non moins stupéfaits. Miss Blacklock, une main sur la figure, était debout contre le mur.

Le colonel Easterbrook s’éclaircit la gorge et, se montrant à la hauteur de la situation, donna un ordre.

— Tournez le commutateur, Swettenham !

Edmund, qui se trouvait près de la porte, obéit. Il manœuvra le bouton à plusieurs reprises, sans résultat.

— Panne générale ou plombs sautés, dit le colonel. Qui est-ce qui mène ce raffut ?

On avait entendu, venant de quelque part de l’autre côté de la porte, des gémissements de femme qui, maintenant, se transformaient en cris aigus. En même temps, des poings martelaient le panneau de la porte.

Dora Bunner qui geignait, elle aussi, répondit :

— C’est Mitzi ! On est en train de l’assassiner...

— Nous n’aurons pas cette chance-là, murmura Patrick.

— Ce qu’il nous faut, remarqua miss Blacklock, c’est des bougies ! Patrick, veux-tu...

Mais déjà le colonel ouvrait la porte. Son briquet allumé à la main, il se précipita dans le vestibule, suivi d’Edmund. Les deux hommes trébuchèrent sur un corps affalé par terre.

— On dirait qu’il a été descendu, constata le colonel. Où est passée la femme qui faisait tout ce potin ?

— Dans la salle à manger.

La salle à manger était de l’autre côté du vestibule. Quelqu’un, qui hurlait, frappait à coups de poing sur la porte.

— Elle est enfermée, reprit Edmund.

Il tourna la clef dans la serrure. La porte ouverte, de la pièce où l’électricité était restée allumée, jaillit une Mitzi folle de terreur. Elle continuait à pousser des cris déchirants et le spectacle eût été tragique si elle n’avait tenu d’une main un grand couteau à poisson et, de l’autre, une peau de chamois.

Miss Blacklock l’exhorta au calme, Edmund fit de même. Puis, comme Mitzi ne paraissait pas disposée à cesser de crier, il lui administra une bonne gifle, qui claqua sec. Mitzi, le souffle coupé, se tut sur-le-champ.

— Il y a des bougies dans le placard de la cuisine, précisa miss Blacklock. Patrick, tu sais où sont les plombs ?

— Dans le petit couloir, derrière l’office ! J’y vais.

Miss Blacklock s’était avancée dans la zone éclairée par la lumière de la salle à manger. Derrière elle, Dora Bunner étouffa une sorte de sanglot. Mitzi se remit à hurler.

— C’est du sang, miss Blacklock ! Vous êtes blessée et vous allez perdre tout votre sang ! Tout votre sang !

— Ne dites donc pas d’idioties ! s’écria miss Blacklock. Ce n’est rien du tout ! La balle m’a à peine effleuré l’oreille !

— Pourtant, tante Letty, ça saigne bien !

La remarque qui était de Julia – était pleinement justifiée – la blouse de miss Blacklock était rouge de sang, et ses mains également.

— Les oreilles, répliqua miss Blacklock, ça saigne toujours beaucoup et je me souviens, que, toute petite, je me suis un jour évanouie chez le coiffeur. On a tout de suite l’impression qu’on perd des litres et des litres de sang... L’important, pour le moment, ce serait d’avoir de la lumière.

— Je vais chercher des bougies, dit Mitzi calmée.

Elle s’éloigna, suivie de Julia. Elles revinrent peu après, avec des bougies, collées dans des soucoupes.

— Et maintenant, ordonna le colonel, voyons notre malandrin ! Baissez les bougies, tout le monde, voulez-vous ?

Phillipa Haymes, de qui les mains ne tremblaient pas, l’éclaira, tandis qu’il mettait un genou sur le parquet.

Le personnage allongé par terre était drapé dans une sorte de houppelande noire, agrémentée d’un capuchon. Il portait sur le visage un loup noir et ses mains étaient gantées de coton noir. Le colonel retourna le corps, tâta le pouls, posa sa main à la hauteur du cœur, puis la retira avec une exclamation de dégoût. Ses doigts étaient rouges et gluants de sang.

— Il est grièvement blessé ? demanda miss Blacklock.

— Hum... J’ai bien peur qu’il ne soit mort. Il se peut qu’il se soit suicidé... et il se peut aussi qu’il se soit empêtré dans l’attirail qu’il portait et que le coup soit parti tout seul... Si j’y voyais mieux...

Au même instant, comme par enchantement, la lumière revint. Avec le sentiment de vivre des minutes irréelles, les indigènes de Chipping Cleghorn qui se trouvaient assemblés dans le vestibule de Little Paddocks se rendirent brusquement compte du tragique de l’événement. La Mort était là ! La main du colonel Easterbrook était rouge de sang, une coulée pourpre s’allongeait du cou de miss Blacklock pour descendre sur son corsage, un inconnu qui avait cessé de vivre gisait en tas sur le parquet...

— C’est simplement un plomb qui avait sauté...

Patrick, qui revenait, n’acheva pas sa phrase. Le colonel écartait le masque qui cachait le visage du mort.

— Autant voir la figure qu’il a !... Bien qu’il y ait peu de chance qu’aucun de nous le connaisse...

— Il a l’air tout jeune ! murmura Mrs Harmon d’une voix attendrie.

Puis, brusquement, on entendit Dora Bunner qui s’écriait :

— Mais, Letty, c’est ce jeune homme que nous avons vu au Royal Spa Hotel, à Medenham Wells ! Tu sais bien, celui qui est venu ici pour te demander de lui donner de l’argent pour rentrer en Suisse... De l’argent, que tu lui as d’ailleurs refusé... Tu as bien fait, car il s’agissait sans doute d’un prétexte. Il venait pour reconnaître la maison... Quand je pense qu’il aurait pu te tuer !

Miss Blacklock ne se laissait démonter ni par la situation ni par sa blessure.

— Phillipa, emmenez donc Bunny à la salle à manger et faites-lui boire un demi-verre de cognac ! Toi, Julia, cours à la salle de bain et prends, dans la pharmacie, un peu de taffetas gommé ! J’ai horreur de saigner comme je le fais. C’est dégoûtant !... Quant à toi, Patrick, veux-tu appeler la police sans plus attendre ?